Au commencement

Voilà le point final de mon voyage au pays des hamburgers. Il m’aura fallu un peu de temps pour le poser sur la feuille, le temps d’atterrir, physiquement et surtout dans ma tête.

Quitter New-York a été difficile ; j’ai pleuré – forcément ; et puis les dernières étreintes à l’entrée de JFK sous cette pluie battante, mes cheveux tout collés sur mes tempes et les gouttes ruisselant contre mon visage et tapant sur ma valise, c’était quand même tellement cliché ; si je n’avais pas pleuré toute ma scène était ratée.

Et puis maintenant, c’est fini, je suis de retour et rien n’a changé, sauf moi qui suis logorrhéique.

J’ai retrouvé ma maison et ma chambre rouge, et les pulls que j’avais laissé bien rangés dans les rayons, les étagères de livres et de films. Je me suis couchée dans mon lit mou dans lequel on s’enfonce jusqu’aux rêves. J’ai marché dans les rues de Dijon, maintenant toute belle, exhibant son nouveau tram et ses rues piétonnes. Je suis retournée dans mon petit cinéma dès le lendemain de mon arrivée, et puis au club, j’ai serré ma famille et mes amis dans mes bras. C’est bon de rentrer. On n’apprécie jamais le bercail autant que quand on revient d’un long périple. « Heureux qui comme Ulysse… »

Ma « 3A » aux Etats-Unis ne sera pas une expérience isolée. Ca y est, c’est fait, j’ai choppé le virus et c’est incurable : je veux repartir. Le monde est beaucoup trop grand pour que mes petites pattes restent en France plus d’un an. Je prévois d’ores et déjà de faire une année de césure après ma quatrième année pour découvrir un nouveau pays / continent. Caplibero aura donc très certainement des petits frères et sœurs !

Voilà pour les nouvelles. Je m’appelle Camille, j’ai vingt ans et des pâquerettes, je reviens d’Amérique mutilée mais vivante, et je continue mon chemin.

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« There is a house in New Orleans »

En posant le pied sur la terre de Louisiane, il y a une semaine de cela, j’ai entamé le dernier voyage de mon année américaine. Une arrivée de nuit dont le contraste entre la chaleur de l’air du sud et le froid coupant de l’aéroport ultra-climatisé m’a prise à la gorge. Cette fois point de couchsurfing, je m’y suis prise trop tard : nous marchons vers la maison d’amis d’amis qui ont accepté de nous héberger à la dernière minute. Ils habitent downtown, dans un des quartiers les plus vieux de la ville, et les transports en commun ne nous laissent qu’à mi-chemin entre l’aéroport et leur maison – il nous faut donc faire le reste à pied. La nuit est tiède et moite, les cheveux collent et les mains transpirent contre la poignée de ma petite valise rouge. J’expérimente pour la première fois les inconvénients climatiques liés avec la proximité de la rivière Mississippi. Ça colle, tout le temps ; le taux d’humidité est au plus haut.

Après quelques minutes de marche, les routes principales laissées derrière nous, le bruit des moteurs diminue et la population se raréfie. On arrive dans la rue Marigny, une des longues artères qui relient les quartiers du French quarter et du Bywater. On remonte la rue pendant une marche qui semble interminable. Ici et là, quelques néons clignotent à l’entrée des bars, mais pour le reste la ville est déserte. C’est que New Orleans se remet à peine de Katrina, l’ouragan terrible qui l’a ravagée en 2005 (80% de la ville furent submergés jusqu’à presque 5m en dessous du niveau de la mer, prouvant la faiblesse des constructions censées protéger la ville). Une large part de la ville a été détruite, près de 1500 personnes ont péri et les conséquences socio-économiques restent désastreuses. Huit ans après le drame, de nombreux endroits font encore ressembler New Orleans à une ville fantôme. En progressant dans la rue Marigny, j’observe les maisons dont presque une sur deux semble inhabitée ; les façades tombent en ruine et en toiles d’araignée. L’architecture très ancienne accentue encore cette impression de flotter dans un autre monde, abandonné depuis longtemps par ses habitants.

La maison est occupée par quatre anciens étudiants de Wesleyan, deux copains de passage, deux chats, un tout petit chaton, deux chiens, quatre poulets, un coq et des cafards ; et le jour de notre départ une paire d’oisillons tout jaunes est venue compléter la photo de famille. Comme Melody qui nous prête sa chambre, beaucoup de jeunes adultes s’installent à New Orleans après leurs études. Pour la plupart, il s’agit d’un moment transitoire avant de se lancer véritablement dans un projet de carrière ; rares sont ceux qui s’implantent définitivement. La ville offre de nombreux atouts pour qui se lance dans la vie, en premier lieu un marché immobilier dont les prix défient toute concurrence. De plus, elle est d’un avis unanime une incroyable source de créativité.

Le climat de la Louisiane, c’est une claque dans la gueule. L’alternance entre canicule et pluie torrentielle. Le changement s’effectue d’un coup ; en trente secondes on est trempé sans avoir compris pourquoi ni comment. Le pire, c’est sans doute la combinaison des deux. Le thermomètre qui explose alors même qu’il pleut comme vache qui pisse (évidemment, y en a que ça a fait râler). Le seul répit provient des bars qui expulsent sur les trottoirs les restes de la clim qu’ils poussent à toute berzingue. Les badauds exténués par la chaleur cuisante se pressent contre les murs pour sentir ce souffle frais béni sur leurs peaux. Heureusement, la température est bien plus clémente la nuit, ce qui permet d’agréables déambulations dans la ville animée. Vous ne sauriez cependant sortir sans votre petite laine, sans quoi l’accès à tout restaurant ou café vous serait interdit sous peine de congélation immédiate. Le pays des extrêmes, qu’y disait…
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Ce séjour aura finalement été une grande et longue marche. Khari rechignant à visiter les musées et à payer pour des visites guidées, nous avons plus ou moins passé notre temps à explorer la ville à pied, ce qui selon les locaux est une excellente démarche. Dans nos grand moments de fainéantise, ou quand le soleil s’est fait vraiment trop mordant, on a découvert les joies du « Streetcar », une sorte de tram rétro tout droit sorti des années cinquante. Les sièges de bois verni, l’absence de vitre qui laisse passer l’air frais tant attendu quand le train prend de la vitesse, les chauffeurs à l’accent à couper au couteau : tout est fait pour attendrir notre petit coeur d’homo touristicus. Les habitants de New Orleans s’enorgueillissent d’ailleurs de leur streetcar et n’hésitent pas à le prendre pour parcourir des distances qui nous ont parfois semblées ridicules. On a appris à se méfier de la réponse « oh non ! Ne le faites pas à pied, c’est beaucoup trop loin ! » quand on cherchait notre chemin. Il faut savoir que pour un habitant de New Orleans, toute distance à plus de dix minutes de marche est vraiment « beaucoup trop loin ». Et puis, à trois dollars le pass pour une journée, pourquoi ne pas s’offrir le luxe de tous ses trajets dans le délicieux streetcar ?…

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Les transports en commun sont un excellent moyen de prendre la température de l’ambiance en New Orleans. Pas de doute, c’est le Sud : la chaleur est partout, surtout dans l’attitude des habitants. On se salue sans se connaître, ce qui paraît suspect au nord est une simple marque de cordialité au sud. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entamer la conversation avec de parfaits inconnus. Les gens m’appellent « baby / honey /darling / love / sweetheart ». C’est bien plus qu’au nord une civilisation de parole. C’est la première fois depuis mon arrivée aux Etats-Unis que je vois des hommes faire des remarques quand de jolies femmes passent devant eux. Rien de malsain ou de déplacé cependant : ce sont de simples taquineries ou marques d’admiration. J’ai eu droit à plusieurs réflexions à cause de la couleur de ma peau (plutôt rare ici) notamment un « hello cottage cheese… » (l’équivalent français serait « salut fromage blanc faisselle… », mais je vous promets, en anglais c’est plus mignon). De manière générale, les gens sont extrêmement chaleureux et gentils. Le contact est simple, c’est vraiment agréable…

Le spectre des couleurs fonce également de manière notoire. 60% de la population de la ville est afro-américaine*, ce qui s’explique par la longue histoire esclavagiste dans le sud du pays. Le ratio est le plus important downtown ; les rues plus huppées des quartiers uptown sont davantage fréquentées par une population blanche. C’est là que nous avons passé la deuxième partie de notre séjour, hébergés par une de mes amies de Wesleyan. Elle sous-louait avec quelques autres personnes un superbe appartement pour une somme semblant ridicule à la parisienne que je suis (malgré moi). L’ambiance uptown  est totalement différente. Dès que l’on s’éloigne de Saint Charles street, le calme s’impose. Le quartier possède principalement de longues avenue résidentielles, peuplées par des maisons immenses et très anciennes aux jardins entourées de grilles. De nombreux arbres tortueux jalonnent les rues et abritent des lézards caméléons et des oiseaux de toute sorte. La qualité des revêtements est tout aussi douteuse que downtown mais la frontière est nette entre les deux mondes.

C’est dans cette partie de la ville que se situent les deux universités Loyola et Tulane. En circulant sur les campus, j’ai réalisé combien ils cadraient à l’image de la vie étudiante que m’avait donnée les sitcoms et les films américains – bien plus que Wesleyan. Ils semblent beaucoup plus grands et se mêlent avec les bâtiments lambda de la ville. J’ai croisé de nombreuses maisons de fraternités caractérisées par leur nom inscrit sur les murs en lettres grecques, le mouvement des fraternités étant plus important dans les universités du sud que dans les liberal art colleges tels que Wes. Les étudiants constituent probablement la principale animation du quartier pendant l’année, mais en cette période estivale les universités étaient plutôt vides. Il devait cependant y avoir des cours ou des séminaires d’été, car si dans la chaleur du jour les rues sont désertes, elles se peuplent miraculeusement dès que la nuit tombent. Tout le monde se presse alors à l’entrée des rares troquets du quartier (et du magasin de musique trash). Les ados sur le tard font vrombir le rap dans leurs voitures cradingues en regardant les pépés en nano-jupes, et la vulgarité ne semble freiner personne.

Bref, rien à voir avec l’ambiance downtown. Dans le French quarter où j’ai passé la plupart de mes soirées, le soleil couchant cède la place aux musiciens qui en deviennent les nouveaux rois. Les jams réunissent entre deux et plusieurs dizaines de personnes dans les rues de la ville. Le jazz suinte des bars et des cafés où malgré mes non-21 ans j’ai de manière surprenante pu accéder sans trop de difficultés. L’ambiance y est irremplaçable, la musique épouse les bières et les odeurs de cigarettes dont l’usage est autorisé à l’intérieur des bars. Cela m’a souvent donné la drôle d’impression d’avoir voyagé dans un autre temps. Pendant nos déambulations downtown, on a bien sûr remonté la rue Bourbon, célèbre avenue bordant le carré français, ainsi nommée après la dynastie des rois de France. Datant de la Louisiane française, Bourbon street est aujourd’hui plus connue pour son ambiance inimitable que pour ses atouts historiques. Sorte de Time Square sudiste, elle assaille le badauds de couleurs, de bruit, d’odeurs. Les bars rivalisent de thèmes loufoques et les gens déguisés se baladent en blablatant pour obtenir quelques dollars (j’ai même vu un type exhibant un faux chien mort – et les mémères de s’exclamer « OH MY GOSHHHHH ! He really looks dead !… »). Pas question pour moi en revanche d’être acceptée sans fausse carte d’identité au sein des clubs de strip tease qui se dressent toutes les trois maisons. Les videurs regardent les passants d’un air mauvais, entourés par leurs danseuses quasi nues cambrées devant les portes.

En fin d’après-midi, les restaurants répandent dans les rues des odeurs de fruits de mer et de poisson frit qui ravissent les narines des marcheurs de ville. La nourriture de New Orleans est très réputée, particulièrement les produits de la mer, et puis « po-boys » (expression dérivée de « poor boys ») : les fameux sandwichs fait de viande ou de crevettes frites sur ce qu’ils appellent baguette ou french bread, et qui s’apparente en fait davantage à un pain blanc insipide qu’à ce que nous entendons par baguette. Il y a aussi leurs huitres, leurs recettes particulières de riz et de haricots rouges et leur pudding que je n’ai pas eu l’occasion de goûter. Comme c’est généralement le cas au Sud, l’usage de friture est très répandu. Tout se frit : viande, poisson, légumes, desserts, et même les glaces… Si, si. Je comprenais pas, au début, fried ice cream… C’est tout un concept. On s’est bien sûr arrêté au célèbre Café du monde, qui sert comme unique plat, et pour moins de trois dollars, un trio de beignets tièdes et moëlleux dont les touristes se délectent, accompagné de café ou de chocolat chaud. Et puis c’est tellement drôle de manger avec les doigts, et puis tout ce sucre glace qui finit partout sur la salopette de bébé et la moustache de grand papa… Un bonheur pour toutes les générations ! Même Khari-bougon a été conquis, après avoir été réticent pendant plusieurs jours (« pfff. It’s just fried dough. » / « C’est juste de la pâte frite »), et on y est retournés !

Les fameux beignets !

Cependant, même en restant dans le quartier à touristes, la pauvreté se fait sentir discrètement, simplement, mais souvent. Il y a beaucoup de mendiants à New Orleans, et beaucoup de fous. Des papis édentés qui parlent tout seuls dans le bus. Des pseudo artistes de rues complètement imbibés qui font tous les soirs les mêmes toiles miteuses sans parvenir à en vendre aucune. Il y a bien sûr le babacool qui a renié papa maman et qui fait la manche en se laissant pousser les cheveux, mais il y a aussi la vraie misère qui est là, bien réelle. Souvent, ce sont des personnes âgées. Des gens tout frêles qui se baladent dans le french quarter à la recherche de touristes généreux. Pourtant, la criminalité n’est pas présente en excès. Bien sûr, il y a de la délinquance ; j’ai moi-même assisté au lâche vol d’un portable à une touriste qui l’exhibait un peu trop ostensiblement à la terrasse du Café du monde – s’en est suivie une course poursuite magistrale au terme de laquelle un petit danseur de claquettes a triomphalement rapporté le téléphone à sa propriétaire sous les applaudissements de la foule rassemblée autour d’elle, puis les flics ramenant menotté le pauvre voleur – redoublement d’applaudissements – mais rien de bien méchant. Malgré la mauvaise réputation des quartiers pauvres de New Orleans, l’ambiance est bien moins craignos que dans certaines parties de New-York ou de Paris.

Dans l’avion qui m’a reconduite à Boston, je n’ai pu m’empêcher d’être un peu triste de quitter cette ville magique. En regardant Khari manger ses cookies-avion en observant la Louisiane s’éloigner par le hublot, j’ai repensé à toutes ces rues, toutes ces notes, toutes ces couleurs, la sensation un peu frustrante de ne pas avoir tout vu. Mais finalement, tant mieux. Ca me donnera une bonne excuse pour revenir.

* statistiques du ministère du commerce américain http://quickfacts.census.gov/qfd/states/22/2255000.html

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Bye bye Wes

Dans la voiture qui partait pour Boston, lundi 27 mai, j’ai regardé s’éloigner pour la dernière fois les bâtiments de Wesleyan University. Les émotions que j’ai alors éprouvées ont été bien plus fades que ce que j’imaginais. Comme si je partais pour le week-end. J’ai essayé de me mettre devant le fait accompli en me martelant que ça y est, c’était fini, fini, que c’était un au revoir pour de bon ; mais impossible de me rendre triste. Peut-être réaliserai-je plus tard, quand je serai rentrée chez moi. Ça fonctionne toujours comme ça : le cerveau qui n’assimile pas sur le moment et le manque qui s’immisce lentement, plus tard. Toujours trop tard.

Peut-être aussi était-il temps. Le temps de clôturer une année magnifique mais tellement dure. Je me souviens de cette pensée fugace en montant dans l’avion, il y a neuf mois presque jour pour jour : « suis-je vraiment en route pour la meilleure année de ma vie ? ». Non. Mon bilan ne sera pas ce cliché extatique de beaucoup de Sciencespistes. Cette année ne fut pas la meilleure de mon existence. Elle fut celle de la lutte la plus acharnée que j’ai eu à mener contre moi-même et qui ne fait que commencer. C’est, de cette année, ce qui aura marqué le plus profondément ma chair et mon esprit. J’ai douloureusement réalisé que traverser l’océan ne permet pas de laisser ses plaies derrière soi. Peut-être que c’est ça, grandir.

Les rencontres que j’ai faites resteront gravées dans mon cœur pour longtemps. J’ai cheminé auprès de personnes si belles que je n’ai pas pu m’empêcher d’en ramener une à Paris en souvenir (pourvu que ça lui plaise !). Je sais que de beaucoup d’entre elles ne resteront que quelques photos, des statuts sur Facebook, et des souvenirs probablement de plus en plus flous. Mais je m’autorise l’espoir que certaines resteront sur ma route. Elles m’ont fait vivre, rire, aimer, elles m’ont surprise et fascinée, elles m’ont déchirée et consolée. Pour tous ces visages je ne peux que remercier le ciel à genoux.

Parmi eux, mes professeurs. Depuis les balbutiements de ma vie d’élève, la providence semble mettre sur mon chemin des enseignants qui dépassent largement le rôle de passeur de savoir pour devenir des maîtres de vie. Je me sais incroyablement chanceuse que cette année encore, ma bonne étoile ait brillé. Aller toujours plus loin, plus fort. Ne pas baisser les bras. Développer son art dans l’humilité et le respect de ceux qui savent. Se découvrir soi-même à travers ses efforts, et apprendre à s’aimer – un peu.

Senior week ne m’a pas laissé le temps de réaliser que c’était la fin. Je suis partie avec ma bande de copines de Womanist House dans la maison de famille d’Ariel, perdue à une heure de route dans la campagne du Connecticut. L’occasion de profiter une dernière fois de ces amitiés précieuses, loin du stress de l’université, avec pour seule compagnie le soleil et les moucherons. L’occasion d’admirer le dégradé de vert et d’or dont se parent les arbres en début d’été, d’écouter les rires couler dans mes oreilles comme un vin chaud. L’occasion enfin de rencontrer Björn, dont j’ai découvert après avoir cru que notre rencontre serait impossible qu’il habitait finalement à quinze minutes de là. Un grand homme grisonnant, professeur de français et peintre ami de la famille depuis des décennies, qui en deux heures m’a montré sa maison et son studio d’artiste, fait visiter le lycée privé où il enseigne, partager mon expérience américaine et ses souvenirs européens.

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Et puis je suis rentrée à la maison pour profiter de ceux que je ne reverrai pas avant longtemps. J’ai beaucoup fait la fête, je suis allée me promener sur les bords du lac de Millerspound, j’ai arpenté pour la dernière fois les rues de Middletown. Il y a eu la folie de graduation day, où tous les seniors (dernière année) ont paradé dans leur toge rouge et leur chapeau plat pour recevoir la distinction finale de leurs quatre années d’études supérieures. La famille de chaque étudiant était présente pour assister à la cérémonie dans un campus orné de milliers de dollars de ballons, tentes géantes, drapeaux et banderoles en l’honneur de la classe de 2013. La célébration quasi-religieuse a duré plus de trois heures. Quand a commencé le défilé des étudiants diplômés, l’énoncé de chaque nom a fait place aux cris d’extase et aux larmes des mères, émues de voir leur progéniture entrer pour de bon dans la vie d’adulte. J’ai tout vu, assise aux côtés de la famille de Khari, grelottant dans mon manteau bleu : évidemment, il fallait que novembre revienne en mai pour la remise des diplômes.

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Heureusement, tout n’est pas tout à fait fini. Il me reste deux semaines de vadrouille, j’embarque cet après-midi pour le pays des Acadiens et je terminerai mon voyage dans la lune là où je l’ai commencé – à New-York la belle.

En marchant pour la dernière fois dans le campus de Wesleyan, j’ai tout regardé, tout décrypté, pour imprimer ces bâtiments profondément dans mon esprit – ma maison, Usdan, Exley, Psi U, la librairie, la bibliothèque, les rues, les arbres, les écureuils gris (les gentils), les écureuils noirs (les pas gentils), l’observatoire et la colline de Foss, l’odeur du soleil sur l’herbe du matin encore mouillée. J’ai inspiré pleinement et fermé les yeux. Bye bye Wes.

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« This is the end, beautiful friend… »

Et voilà. L’heure a sonné. Samedi 18 mai, 11h du matin ; je suis assise à mon bureau dans une chambre vide. Tout a déguerpi, tout est empaqueté. Cette fois je crains c’est la der des der. La fin de mon aventure Wesleyenne. Ou presque : il reste senior week ! Le campus se vide depuis hier, j’ai arpenté les rues presque complètement seule. Un village fantôme. La semaine des finals est terminée, seuls les seniors (dernière année) restent à Wesleyan en attendant les cérémonies de graduation (remise des diplômes de fin d’étude) qui auront lieu le week-end prochain. D’ici là… Les journées se transforment en 24h de fête. Je reste aussi en me cachant chez Khari, puisque j’ai été virée de ma maison. J’ai empilé mes tonnes de sacs dans sa petite chambre en attendant le grand départ. Et voilà les amis, il n’y a plus qu’à profiter…

Wes’anime !

Aujourd’hui j’ai eu mon dernier spot check en dessin. Ça m’a fait tout drôle. Ça veut dire que dans une semaine tout est fini, que je dois rendre ce terrible autoportrait nu grandeur nature, celui qui m’a fait rêver / paniquer tout le semestre. Une semaine de la fin des cours… Diable.

Pour les cases cochées, on peut noter le concert des Wesleyan Singers, l’examen final d’histoire du cinéma allemand, tous les tests sur les musiques et les vidéos en histoire du rock. Le concert s’est très bien passé. Les gens ont surtout aimé la messe de Haydn, moins les pièces baroques. Rien n’a changé depuis la maîtrise, le public a toujours autant d’appétit pour les pièces énergiques ! Quant aux cases qu’il me reste à cocher, j’ai donc cet autoportrait, l’examen final de musique, la chanson à écrire et à enregistrer, plus un essai à écrire sur la relation entre le cinéma de Wim Wenders et le rock (mais pour ça j’ai encore un peu de temps). J’ai eu énormément de mal à me mettre à dessiner, d’autant que le temps s’est sévèrement amélioré et qu’il est très difficile de s’imposer un travail en intérieur quand le soleil ne demande qu’à vous lécher la peau dehors. Pour l’instant, le ventre et les jambes de mon double de papier sont corrects, le reste tient plutôt de la fusion alien / grenouille. Mais j’ai encore une semaine, j’suis laaaaaaaaaaarge…

Pendant que je m’enferme dans ma chambre / studio, Wesleyan se couvre d’événements joyeux et du parfum des pissenlits. Les odeurs d’été ont toujours été mes préférées (exception faite de la sainte trinité des odeurs : chocolat chaud – clémentine – feu de bois). Les fleurs tombent peu à peu pour faire place aux embryons de feuilles et à une herbe verte et dodue. Les promenades dans la campagne deviennet l’ultime plaisir, et puis l’été ici est si long à venir que chaque degré supplémentaire est un petit trésor.

Les festivités extérieures se multiplient à mon plus grand bonheur. Le 20 avril (04/20, four twenty, selon l’écriture américaine), Foss Hill s’est couvert d’une odeur prononcée de cannabis : c’est le jour de l’année où l’administration ferme les yeux sur l’usage de la weed – très répandu – à Wesleyan. Tous les étudiants s’asseyent sur Foss Hill pour fumer ensemble et profiter des premiers soleils, se délectant des pizzas déposées à 4h20 de l’après midi. Un joli moment de retrouvailles.

Changement d’ambiance samedi dernier ; j’ai participé à la version wesleyenne de Holi, la fête indienne du printemps. Réunis sur Foss Hill, des dizaines d’étudiants s’aspergent de pigments de couleurs, c’est un désordre délicieux et tout le monde finit coloré des pieds jusqu’à la tête. Mes cheveux ont d’ailleurs toujours une jolie teinte arc en ciel, c’est la première fois de leur vie qu’ils expérimentent un changement de ton et ils semblent s’en accommoder à merveille. Holi est aussi une bonne occasion pour passer un moment avec ceux que je n’ai pas vu depuis longtemps, et rattraper un peu le temps qui file…

J’ai aussi assisté à un spectacle assez fou de danseurs en petites tenues. « Wesburlesque » est une tradition de Wesleyan mêlant humour et érotisme – un peu dans le genre de Tournées, si vous avez vu le film. Les danseurs étaient aussi bien filles que garçons et croyez-moi, ces messieurs n’étaient pas en reste. On trouvait tous les physiques et les deux sexes étaient traités exactement de la même manière. J’ai passé la majeure partie du spectacle à me demander si Burlesque était plutôt une incitation à la libération physique, à l’acceptation de soi, à la transgression des barrières socio-culturelles par le rapprochement entre art et provocation sexuelle (concepts qui sont pour moi totalement positifs) ou une aliénation des étudiants-danseurs qui se transforment en purs objets de désir, passant l’aspect artistique un peu en seconde position (même si l’humour dédramatisait beaucoup la chose). Je crois que je n’ai toujours pas décidé entre les deux. Peut-être que mes deux visions sont un peu vraies, et même si je prends rationnellement plutôt partie pour la première, mon éducation et mes principes ne peuvent pas s’empêcher de faire revenir la seconde à ma réflexion. Intéressante expérience, quoi qu’il en soit.

Hier enfin, je me suis arrêtée devant Usdan en fin de soirée pour me balader au milieu du mini-parc d’attraction qu’ils avaient monté pour la soirée Relay for life. Relay for life est une association qui travaille dans tous les États-Unis, notamment les universités, pour lutter contre le cancer. L’accès aux jeux et à la nourriture étaient ouvert pour 10 dollars. Des jongleurs aux bolas et cerceaux enflammés ont fait le show pendant la première partie de la soirée, suivi par LE spectacle de ces demoiselles : la vente aux enchères de garçons – que j’ai regardé avec un certain scepticisme. Une tripotée de senior (donc beaucoup de mes potes) se sape classe, défile sur un podium, répond à quelques questions, et les enchères commencent. La fille qui pose la plus grosse enchère remporte un date, c’est-à-dire une sortie à deux avec sa nouvelle acquisition. C’est très bon enfant, tout le monde se prête au jeu et les enchères montent vite. L’argent récolté revient bien sûr à la recherche contre le cancer. Tout un concept, hein ? Mais si c’est pour la bonne cause… C’était marrant à regarder (et non, je n’ai pas misé), mais la nuit fait revenir les températures polaires et ma copine Anna et moi sommes bien vite rentrées, s’arrêtant au passage au très célèbre camion vendeur de grilled cheese – elle tenait à me faire goûter cette spécialité 300% américaine. Bon, c’était pas mauvais, mais enfin, ça reste du pain et du fromage et ça dégouline et bof, voilà, c’est pas le chocolat d’Angelina.

Voilà pour mes nuits printanières…

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Barbec’ entres amis (Mike-mon-copain-guitariste et Anna-ma-copine-photographe)

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Avec Tati l’espagnole 🙂

Adrien, mon nouvel ami

Il y a peu j’ai démarré une nouvelle aventure artistique avec mon ami bourguignon Arthur (http://b.vimeocdn.com/ps/454/060/4540600_300.jpg) . Après avoir tourné dans sa série vidéo quand j’avais quatorze ans, puis donné un coup de main l’an dernier lors de son court métrage de fin d’études (http://vimeo.com/54017163), me voici embarquée dans son site d’écriture à plusieurs mains.

Le concept est simple: chaque auteur incarne un personnage interlocuteur d’Adrien Pulsar, le héros sans voix. Chacun contribue, par les mails envoyés à cet homme mystérieux, à dessiner son portrait sans que jamais ses réponses ne soient révélées. Parfois les chemins des personnages se croisent et de nouvelles histoires surviennent, les chemins s’emmêlent et se démêlent. Je me fais donc la voix d’Asia, nouvelle lueur dans le ciel d’Adrien.

http://laconstellationdadrien.wordpress.com/concept/

Si l’idée vous semble alléchante, si vous êtes avides de romans-feuilletons, ou simplement curieux, allez donc vous perdre dans les étoiles… C’est par ici ! 🙂

http://laconstellationdadrien.wordpress.com/

Le printemps fait son coming out !


IMG_9317Mes amis je vous le dis, ça y est, c’est officiel, 18 avril, j’ai quitté mes moufles mon éternel pantalon de velours, je vais enfin pouvoir retrouver un peu de style parce que C’EST LE PRINTEMPS (ou presque). Les premières fleurs poussent sur les arbres matinaux tandis que pour les lève-tard, les bourgeons continuent de grossir dans leur enveloppe verte. En rentrant chez moi après mon cours de ciné, l’odeur de l’herbe coupée a happé mon cerveau – BAM les flashs de Villeberny – et il y a des PISSENLITS qui poussent devant ma maison. Youhouuuuuuuu.

Le printemps arrive avec son lot de bonnes nouvelles. Depuis hier et jusqu’à demain on célèbre Wesfest, trois jours pendant lesquels l’université ouvre ses portes aux seniors lycéens acceptés à Wes. Les festivités se multiplient, les bâtiments grouillent de visages acnéiques collés à leurs parents – c’est tout mignon. Ce soir, si j’aurais pu me rendre au défilé de mode, je préfère aller assister à la « battle of the bands », une bataille entre groupes de musique. La récompense: faire la première partie du grand concert d’extérieur de Spring fling qui a lieu dans quelques semaines, à la tête duquel figurent notamment Kendrick Lamar, Ab-soul, Ryan Hemsworth et Anamanaguchi, je vous demande un peu. D’ailleurs, tout s’extériorise: les étudiants sont de plus en plus nombreux à glander ou à travailler sur Foss Hill au lieu de s’enfermer à la bibliothèque, les salles intérieures de Usdan se vident au profit de la terrasse..

Le travail sent aussi le printemps, mais pas dans le bon sens. Le rythme s’intensifie lentement mais sûrement et mes nuits raccourcissent à vitesse grand V. Ma chambre s’est à nouveau transformée en atelier de dessin – impossible d’y marcher sans avoir les pieds noirs de fusain dont la poudre se répand systématiquement par terre malgré mes efforts, et éventuellement criblés de microscopiques morceaux de verre car j’ai cassé un miroir en essayant de le positionner au mieux pour dessiner. Parce que oui, m’y voilà enfin, à ce terrible projet final : l’autoportrait nu grandeur nature. L’enfer. Allez vous démerder pour positionner un miroir en pied dans lequel vous puissiez vous mater tout en dessinant sur un support d’1m50 et un papier de 2m, dans une petite chambre d’étudiant ; je vous y vois bien. Les projets préliminaires ont certes été d’une grande aide, et je dois avouer avec une petite fierté que mon premier autoportrait (buste) a été un succès critique. Mais le vrai taf est à venir. J’ai eu l’occasion la semaine dernière de faire une expédition au Met avec la classe, pour aller dessiner les statues grecques. C’était la première fois que j’ai visité le musée et j’ai été vraiment impressionnée par la qualité et la diversité des galeries. J’ignorais d’ailleurs que tant d’artistes français que je croyais à Orsay étaient en fait exposés là-bas ! Au rayon festivités on peut aussi signaler le « drawing workshop » qui aura lieu samedi : huit différents ateliers liés aux arts graphiques ouverts au public toute la journée. La possibilité d’aller s’essayer à la peinture japonaise, au dessin sur modèle nu, aux techniques de l’encre de Chine… Tout ça à nouveau à l’extérieur.

J’ai aussi eu la joie d’accueillir les cousins dimanche dernier ! En road-trip sur la côte Est, les Erics ont fait une pause par la campagne pour venir explorer ma vie d’expat. C’est toujours tellement chouette de revoir la famille. On s’est baladés aux quatre coins de Wesleyan : on s’est promenés dans « Indian Hill », on s’est arrêtés bruncher au café « red and black », on a admiré la sublime architecture 100% béton du CFA ; on a même eu un double privilège :

  • voir Khari au travail sur les finitions de sa chaise sur laquelle personne ne peut s’asseoir,

  • rencontrer Herr direktor Michael Roth qui promenait son chien, qui m’a adressé la parole pour la première fois de l’année pour m’apprendre qu’il parle très bien notre langue (sa femme est prof de français). Plutôt rigolo, comme rencontre.

Ça m’a surtout fait plaisir d’avoir des nouvelles de toute la bande de cousins. Ça faisait un bail monstrueux que je ne les avais pas vu. C’est que la nostalgie commence à piquer, après huit mois loin de chez moi. La double peine : le cruel manque des proches, et en même temps l’angoisse à l’idée de partir d’ici. D’ici un mois la fête est finie et le glas de la sortie résonne déjà dans mes oreilles.

Alors pour me consoler, sitôt rentrée de mon Spring Break, je prévois déjà les prochaines vacances… Me voilà repartie avec Khari sur les routes, direction la Nouvelle Orléans pour une semaine début juin ! Mais n’en parlons pas déjà. Il me reste un mois entier à savourer Wesleyan. Pour le meilleur…

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Les cousinnnnnnnnnnnnnnnnns !!

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In memoriam

Article beaucoup moins drôle cette fois. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’écrire, j’avais sans doute besoin de prendre du recul, d’attendre un peu pour ne pas écrire à vif, pour avoir eu le temps de digérer l’affaire et de réfléchir raisonnablement à ce sujet.

Mon ami Noah s’est donné la mort le mois dernier, le 19 mars. Peut-être vous souvenez vous de lui, j’en ai parlé il y a quelques temps. Je l’ai rencontré par le biais de mon cours de photo, on avait beaucoup sympathisé et on passait pas mal de temps ensemble à la fin du semestre dernier. Cet hiver il nous a accueillis avec Khari, dans sa maison de Los Angeles, où il nous a impressionnés par ses qualités de jongleur. Il me parlait toujours en français, trop content de pouvoir à nouveau pratiquer la langue qu’il avait apprise pendant son année d’échange à Paris quand il était au lycée. Ça me gonflait, d’ailleurs, j’avais pas du tout envie de parler français. Il trouvait hilarant que « flic » et « fric » s’écrivent quasiment pareil mais veulent dire des choses aussi différentes, et d’ailleurs il se plantait à chaque fois – « Camille, faut qu’on se casse, y a les FRICS!! ». Sans rire, c’est vraiment arrivé plusieurs fois, vu qu’on partait souvent en trip photo tous les deux et que généralement on se retrouvait toujours là où on n’aurait pas du tout dû être.

C’était aussi le plus mauvais conducteur de voiture manuelle que j’aie rencontré dans ma vie. Pour vadrouiller on piquait toujours la voiture de mon voisin, manuelle donc, et il s’était mis dans le crâne qu’il fallait qu’il sache conduire ce type de voiture (c’est très hype en Amérique). Maux de cœurs assurés. Pas faute de lui avoir offert de prendre le volant, mais non, « c’était pas sa voiture donc il préférait quelqu’un qui soit vraiment sûr de sa conduite ». …Blurp.

J’ai été parmi les premiers à apprendre la nouvelle, à deux heures du mat, dans le hall de l’hôtel de Porto Rico où j’essayais désespérément de faire marcher skype. Une annonce sur facebook. Noah rayé de la carte. Bam.

Honnêtement, ça faisait un moment que je ne lui avais pas parlé. On s’était disputés très violemment pendant les vacances d’hiver parce que je me faisais beaucoup de souci à son sujet et que je n’avais pas pu tenir ma langue avec lui. Il souffrait d’une forme bizarre de dépression qui l’empêchait même parfois d’agir normalement, de travailler, de mettre les mots côte à côte pour former des phrases. J’ai longuement parlé avec sa mère de mes inquiétudes, sa pauvre maman, qui en pleurait déjà. Mais on ne peut pas aider les gens contre leur gré. Quand j’ai compris qu’il avait décidé de demeurer inatteignable, s’il le fallait par la voie de la violence et de l’agressivité, j’ai baissé les bras. Par la suite j’ai appris que je n’étais pas la seule. Il était en froid avec la plupart de ses amis qu’il avait progressivement poussés loin de lui.

Ayant décidé de quitter Wesleyan au milieu du deuxième semestre, sans prévenir personne, je n’aurai jamais revu le vrai Noah, celui qui était mon pote avant de se transformer en fantôme errant dans Wesleyan.

J’ai eu beaucoup de mal à pleurer. Je crois que pour moi il était déjà un peu parti, en fait il était parti depuis janvier. Ce qui me faisait mal, c’était surtout de repenser à sa mère. A la détresse ultime d’une maman qui voit son petit couler entre ses doigts. A l’absurde : pourquoi ? Pourquoi un garçon de vingt ans, beau et talentueux, peut un jour décider d’en finir avec la vie ? Pourquoi la maladie est tombée sur lui, lui, et pas sur moi ou n’importe quel trou du cul, hein ? J’ai repensé à Camus et son mythe de Sisyphe, même si c’est loin et je crois que je mélange un peu dans ma tête. « Il n’y a qu’un problème vraiment sérieux : le suicide », il disait. Il voyait ça comme la résolution de l’absurdité de la vie. Pour moi, c’est surtout résoudre l’absurde par l’encore plus absurde. Enfin. Noah a choisi ça plutôt que la révolte. Je sais même pas s’il avait lu le bouquin. Ce couillon. Quand je pense que trois jours avant il arrivait sur le podium d’un marathon.

On a organisé une cérémonie à sa mémoire avec l’aide du rabbin de l’université et des autres amis proches. C’était très beau. Les étudiants qui prennent la parole pour raconter leur Noah, et Sasha, ma chère prof de photo, qui prononce son discours en commentant les images qu’il avait faites au premier semestre, s’arrêtant sur son chef d’œuvre, une photo qu’il avait prise de moi dans un camion abandonné – elle l’avait tant aimé qu’elle lui avait proposé de lui acheter. On a décidé de faire suivre la cérémonie par une exposition de son travail accompagnée d’une buffet de dumplings, les genres de beignets asiat qu’il pouvait manger jusqu’à se faire exploser l’estomac.

Alors oui, il y a eu beaucoup de larmes. Tout le monde s’est mis à aimer Noah, qui est devenu un quasi-saint. C’est fréquent, quand les gens meurent. Il sont soudain très aimés et ont beaucoup plus d’amis. Mais c’est pas grave. Il restera toujours dans le souvenir des vrais. Il y a pas mal de choses pour lequel je lui en veux encore. Pour lesquelles, vivant ou mort, il reste un petit con. Mais tout petit con qu’il est, ou qu’il fut, c’est aussi un ami formidable qui appartient à une période spéciale de ma vie et qui restera toujours logé dans un petit bout de mon coeur.

Demain, un mois. La boucle est bouclée. La vie continue, les gens vivent, marchent, rient, pleurent et font l’amour, il y a toujours des fourmis dans l’herbe et des nuages dans le ciel – mais la chambre de Noah dans « Russian House » est définitivement fermée.

A toi la paix, l’ami.

J’espère que là haut, il n’y a pas trop de frics.

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Spring break portoricain


Adios Puerto Rico, adios paradiso, me revoilà au même point, assise dans la crasse du terminal des bus de New-York, attendant patiemment mon retour dans le Connecticut. J’ai revêtu mon éternel pantalon de velours, mes couches de pull et mon manteau, et je vous le confirme, on se les GELE. Difficile de garder les yeux ouverts, la nuit a été rude : arrivée à l’aéroport de San Juan (Puerto Rico) à 23h30, innombrables files d’attentes dont la première m’a volé les deux mangues dont je me délectais par avance, l’attente interminable pour l’avion supposé partir à 2h du matin puis retardé d’une heure, la course effrénée à 5h30 à travers l’aéroport d’Orlando (Floride) pour attraper la correspondance en dix minutes, l’arrivée à New-York à 8h30, les retrouvailles avec le froid. Mais tout va bien, j’attends le bus, je serai bientôt de retour à ma maison.

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Les gringas ! De gauche à droite, moi-même, Claire (Boston), Héléna (New-York), Manon (Boston), Morgane (New-York). Ne manquent que Bilal et Ania, les poteaux qui ont partagé la plupart du périple mais dormaient dans un autre hôtel.

Je rapporte de ce séjour un teint coloré, de gros cernes, des jambes couvertes de grosses piqûres rouges et purulentes ne laissant pas vierges deux cm² et me donnant un petit air de pestiférée, du soleil plein les yeux, le délice des fruits des îles blotti au creux de l’estomac, le souvenir du sable chaud coulant entre mes orteils. Une petite semaine au paradis.

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Puerto Rico, c’est d’abord une merveille climatique. Il faut imaginer les plages de sable fin s’étendant à perte de vue, léchées par une eau turquoise et transparente, ornée des palmiers offrant un peu d’ombre aux touristes desséchés. Le soleil rayonne pratiquement tous les jours, parfois brièvement entrecoupé de petites ondées, juste ce qu’il faut pour faire survivre les plantes. Les fruits portoricains sont la nourriture des dieux et leur jus est plein des parfums les plus chauds, les plus tendres, les plus raffinés. La forme des arbres diffère de nos arbres du nord ; comme celui-ci, le gros tronc aux racines proéminentes et dont les petites feuilles vertes jouxtent des cascades de longs fils bruns qui lui donnent presque un petit air de saule pleureur du soleil. Souvent leurs fleurs éblouissent l’œil de couleurs chatoyantes. En un mot, le paysage de Puerto Rico est généreux; il donne, donne, sans restriction aucune, et c’est à toi, à moi, à nous, de le saisir à pleine bouche et de l’embrasser jusqu’à tomber dans l’ivresse la plus folle et le sommeil le plus profond.

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L’arbre.

Un paradis complet ne seraient-ce les innombrables variétés d’insectes voraces et sans pitié qui nous ont littéralement dévorées. Je vous épargne la photo de l’arrière de mes cuisses, la description que j’en fais plus haut doit vous donner une idée assez sordide de leur aspect, je tiens à préserver vos yeux. Je ne ferai qu’une précision en ajoutant qu’en plus d’être présentes en quantité, la qualité de leurs piqûres ne saurait être questionnée. La nuit suivant l’orgie à laquelle ils se sont prêtés sur mes jambes, j’ai dû dormir deux heures, constamment réveillée par la douleur et les démangeaisons qui me faisaient systématiquement finir dans la douche à asperger mes jambes d’eau la plus froide possible pour en calmer le feu. Les moustiques, c’est LA saloperie de Puerto Rico : le climat très humide de l’île leur convient à merveille. A moins, un peu moins, je dois l’avouer. J’ai eu du mal à m’adapter à la moiteur de l’air souvent très lourd, qui charge immanquablement les habits et les draps d’une odeur de moisi et fait coller la peau ; l’impression fréquente que l’orage menace, et finalement il n’arrive jamais, le vent porteur de sel qui vient ronger les visages.

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Le camp de base était à San Juan, la capitale de l’île. On a loué une chambre à cinq lits dans un mélange d’hôtel / auberge de jeunesse / bed and breakfast, le « Pop Art hôtel », tenu par quatre jeunes qui le transforment aussi en galerie d’art en y exposant leurs œuvres. Des gens d’une gentillesse extrême, comme la plupart des gens de l’île. Ils nous accueillent en anglais, notre espagnol étant plutôt pauvre, mais alternent les langues avec ravissement quand ils entendent Claire, l’amie de Boston, remonter le niveau. L’espagnol, c’est ma plus grande frustration. Même si je comprenais suffisamment pour pouvoir me débrouiller, il m’était impossible de répondre et ça, c’est dur. Je me suis contentée d’écouter leur accent très doux, gommant toutes les lettres agressives de l’espagnol madrilène, et d’en savourer les mélodies. Principalement visitée par les touristes américains (beaucoup de Spring Breakers à cette période de l’année), Puerto Rico parle généralement l’anglais sans difficulté, surtout dans les classes les plus aisées de l’île. Mais l’antipathie vis-à-vis des « gringos » se fait sentir partout, et les regards méprisants se posent fréquemment sur nos peaux laiteuses. Ici, on fait guère la différence entre les nationalités : on a très vite compris que toutes françaises qu’on n’était, on restait une bande de gringas comme les autres.

Le vieux San Juan est une partie aisée de l’île. Les ruelles serpentent dans un périmètre assez restreint allant du port aux milles marchands au fort du Moro, l’édifice le plus ancien de tout Puerto Rico. L’on marche sur des pavés entre des maisons mitoyennes aux couleurs vives et brillantes. Des milliers de chats se logent entre les voitures ou le long des trottoirs, cherchant la fraîcheur ; j’ai même trouvé dans une librairie un livre de photo qui leur était dédié. C’est aussi gorgé d’iguanes ! Ma copine Morgane en avait d’ailleurs une peur panique, bien qu’ils n’aient pas l’air bien agressifs ; ils sont plutôt rigolos en fait.

L’architecture de la ville est typiquement latine. Si on lève les yeux on aperçoit les plantes grimpantes embrasser les barreaux des balcons ensoleillés. Fenêtres et portes sont ouvertes. La vie n’a pas de frontière entre les rues torrides et les intérieurs glacés par la clim. Le soir, la musique sort de toutes les maisons. La danse est un don que le portoricain reçoit à la naissance et qu’il prend plaisir à faire partager au touriste aussi à l’aise qu’un poteau électrique. Le vieux centre est peuplé de touristes, principalement des américains (dont la couleur passe du blanc le plus clair au rouge le plus vif) qui viennent profiter de la chaleur insulaire. La misère se voit peu : le centre, très cher, est plutôt réservé aux vacanciers et aux classes supérieures du pays.

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Surprisiiiiise !

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Mais si l’on s’éloigne un peu du vieux centre, la population change de visage. J’ai été frappée par la très visible pauvreté socio-culturelle des habitants de l’île dès notre première visite à la plage de l’Escabron, à quelques minutes de bus. Contrairement à notre petite plage du bas du vieux San Juan, sauvage, magnifique, mais malheureusement difficilement baignable à cause des courants trop violents, Escabron est le stéréotype de la plage à succès, autrement dit, la plage aux beaufs. Quelques « gringos » mais surtout des natifs, en très large majorité des jeunes, gras, bruyants et tous munis de leur sac de chips. Le reste du décor de la plage va avec : une radio diffuse en boucle les même tubes – même rythmes, mêmes voix androgynes et léchées – et l’odeur de graisse du barbecue un peu plus loin remonte dans mes narines. Chaque baigneur bénéficie d’un à deux mètres carrés d’espace maximum, et offre sa graisse au soleil brûlant. Je n’ai d’ailleurs jamais vu une si grande concentration de fast-foods sur un si petit espace. La malbouffe est partout et fait de terribles dégâts. Même les plus minces des habitants sont flasques et mous, et ce dès l’enfance. Les petites filles promènent leurs bourrelets entre les jambes de leurs mères adolescentes. C’est un autre fait marquant de l’île : ici on enfante alors qu’on tète encore le sein de sa propre mère. Il ne se passe pas un jour sans que je croise une très jeune fille le ventre gonflé, il semble que le premier enfant arrive vers seize ans. La dernière nuit de notre séjour, j’ai dormi avec mes copines de Boston (Manon et Claire) chez un couchsurfer dont la copine avait déjà un enfant et ne devait pas avoir plus de 18 ans. Je ne sais pas s’il s’agit d’accidents à répétition ou d’un facteur culturel qui veut que les mères soient plus jeunes qu’en Occident.

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Peut-être aussi est-ce dû au poids de la religion. Comme de nombreux pays d’Amérique du Sud, Puerto Rico porte les stigmates d’un catholicisme virulent. Les villes sont marquées d’insignes religieux, petites croix au-dessus des bars, discrètes madones cachées au coin des rues, innombrables chapelets et bibelots religieux dans les boutiques de souvenirs… Nous avons d’ailleurs tenu à assister à une messe le premier dimanche de notre séjour. Officiant dans une jolie église blanche et neuve surplombant une petite place animée, le prêtre m’a rappelé violemment les fougueux prédicateurs médiévaux de ma première année de Sorbonne. Il se bat avec le bruit des ventilateurs qui vrombissent tous les trois rangs, les problèmes de micros qui rendent son discours presque inaudible, mais il rage, rugit, souffle, muffle, sue, s’exclame, s’esclaffe, engueule, hurle son amour de Dieu et prie même pour la résurrection de Chavez (si, si). J’avoue, la majorité du discours m’échappe, et je suis reconnaissante à Claire pour me traduire les parties obscures (du moins celles qui traversent les caprices du micro). Pas de délice musical en revanche. Les chants sont basiques et l’assemblée murmure aussi faux qu’en Europe. Pendant la communion, mon attention décroche un peu et mon regard se pose sur ma feuille de chant. Quelle n’est alors pas ma surprise de découvrir que le dos de la feuille est couvert de publicités !On y vante tel restaurant, telle esthéticienne, et même pour des sites de rencontres entre chrétiens. Toutes les occasions sont bonnes…

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Nous avons décidé de ne pas rester uniquement à San Juan et nous avons loué une voiture à sept pour aller se balader sur l’île pendant deux jours. Le mardi était destiné à aller voir les célèbres grottes de Camuy, puis à visiter la ville de Ponce. Malheureusement personne ne nous avait dit que le mardi est jour de flemme à Puerto Rico, et on n’a trouvé que porte close et ville fantôme. On a donc fini par passer la journée dans la voiture à traverser l’île, ce qui en soit était presque aussi agréable. La végétation typique des climats tropicaux, l’exubérance partout, les couleurs éclatantes ; un tour à l’intérieur de paysages bien plus sauvages, quelques marchands de fruits frais ambulants et des maisons pauvres. La campagne profonde jouxtant des petites villes minables. On a aussi brûlé nous yeux de la beauté du coucher de soleil sur la plage, ultime bonheur avant la tombée de l’ombre.

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Le mercredi, c’était réveil à 6h15, direction la petite île de Viequés où l’on arrive finalement en fin de matinée sous un soleil de plomb (après la frayeur du matin lorsque Bilal s’est pris une amende et qu’on a cru rater le ferry). Le voyage valait définitivement le coup, ne serait-ce que pour la découverte de ces paysages paradisiaques ; de cette petite plage que nous avons dénichée, sans autre âme que la nôtre, là où je me suis baignée dans l’eau tiède et limpide pendant que d’autres se reposaient sous l’ombre des cocotiers ; de ce bonhomme incongru qui nous a transporté d’un bout à l’autre de l’île, dans la remorque de son truck, la canette de bière à la main, la sueur perlant le long de ses rides noires, le sourire édenté mais infatigable ; du meilleur smoothie de ma vie savouré sous une tonnelle dont le souffle des ventilateurs venait sécher mon visage… Je me suis même fait des copains : deux petits chevaux qui glandaient dans la rue et qui ont décidé de se faire la malle avec nous pendant une heure ! Ô Caraïbes.

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Le soir, après nos journées de vagabondage, on s’asseyait souvent à la terrasse d’un café, sur un banc du port ou dans un restaurant si l’air conditionné ne nous décourageait pas, et on se régalait des spécialités. On s’est bien sûr délectés plusieurs fois du célèbre mofongo, sorte de gâteau de purée à base de banane plantain, de pomme de terre, d’ail et de peau de porc, mais aussi des délices frits à la viande ou aux légumes, sans parler des fruits et des boissons ambroisiaques. Souvent les oiseaux de l’île venait nous tenir compagnie, notamment ce petit oiseau noir, un genre de mini-merle aux yeux jaunes dont on a beaucoup ri de la parade amoureuse, le voyant gonfler à outrance sa gorge et son ventre de jais.

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Puis c’était l’heure des dernières promenades, les verres nocturnes, les lectures. Je me souviendrai de ce dernier soir où, attendant que notre couchsurfer ait terminé son service, les bostoniennes et moi traînions dans ce bar où s’enivraient les touristes américains et les pépés juchées sur leurs échasses, et la conversation que j’ai eue avec Antonio, portoricain tout endreadé qui connaissait Brel, Dutronc et Noir désir et m’a confié toute la soirée son envie de visiter la France et d’apprendre notre langue… Incroyable.

Alors voilà. C’est la tête pleine de tous ces souvenirs que me voilà maintenant, assise dans le froid de la gare des bus. Mais je ne suis pas triste, je rentre à la maison. Et puis, il sera très vite temps de préparer les prochaines vacances… Je vous laisse quelques photos supplémentaires pour le plaisir des yeux :

Les délectations climatiques :

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Sur notre petite plage privée à San Juan :

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Avec Héléna :

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Le vieux bougon de la place :

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Les rues de San Juan :

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Camille se prélasse dans le patio de l’hôtel :

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Un petit somme dans la rue :

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Le petit mignon :

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Le moro, en haut de San Juan, renommé l’esplanade aux cerfs-volants, un endroit magnifique où le vent protège de la chaleur terrible :

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Viéques, l’île aux merveilles :

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IMG_9118 LA MEUF PAUMEE

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Les deux copains :

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De retour à San Juan. Les trois grâces :

IMG_9178 LES TROIS GRACES

Au frais près de la fontaine :

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Le chat tout rond :

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Les bostoniennes au flamboyant :

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Les derniers jours. Le papi tatoo (y’en a qui devraient arrêter le soleil) :

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La dernière plage :

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Le petit poisson venu nager avec moi :

IMG_9283LE POISSON JAUNE

Les sirènes :

IMG_9288 LES SIRENES

Les plaisirs culinaires. N°1, le mofongo (et Héléna et Manon qui bavent devant) :

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N°2 : la peau de porc grillée (pas tentée, j’avoue, mais c’est renommé) :

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N°3, les douceurs frites :

IMG_9292 LES PETITS DELICES

N°4 : Héléna qui me fait découvrir avec fierté les bananes flambées version Puerto Rico :

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N°5 : le jus de coco à même la noix, ultime plaisir du séjour (obligéééé) :

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Les news – flambée de cerveau et envolées lyriques

Le vingt-huitième jour de février, alors que je marchais sur le chemin de mon cours de ciné, un rayon de soleil a touché mon cou. Ça y est. L’hiver montre ses premiers signes de faiblesse – enfin ! Mais qui sait quand le printemps triomphera pour de vrai. Ici l’hiver est mesquin et à plus d’un tour dans son sac.

Qu’importe. Un rayon est venu caresser ma nuque. Le pape peut bien avoir démissionné, Sciencespo fait la révolution et Hollande serré la main de Poutine, le monde s’avance définitivement vers des temps meilleurs.

Ici, dans ma bulle, ça carbure au boulot. Le semestre touche à la fin de sa première moitié et les échéances s’accumulent.

La France s’est d’abord rappelée à moi de manière brutale avec l’urgence des inscriptions en master (et le bordel caractéristique de SciencesPo qui va avec). Retour à la réalité et rappel que mon temps ici est compté. J’ai donc fait le nécessaire et envoyé tout ce qu’ils voulaient pour ma candidature au master communication en anglais. Normalement ils le réservent aux non-Français, mais j’ai quand même tenté ma chance, ça me ferait kiffer de pas perdre tout mon vocabulaire en rentrant. Bien que non-sélectif, le master recquiert CV + lettre de motiv + entretien (à venir) avec le directeur de l’école. Je me suis creusé sévèrement la tête pour expliquer combien la communication était mon rêve d’avenir et que vraiment mon parcours entier était destiné à me faire atterrir à l’école de com’ de SciencesPo. Blablabla. Enfin. Au moins, tout est balancé, je n’ai plus qu’à attendre que les noix de coco tombent du cocotier.

En ce qui concerne ma vraie vie :

Côté dessin, je progresse à force d’heures à plancher sur mon papier. Julia nous avait promis du boulot, elle ne nous avait pas menti. C’est véritablement un job à plein temps. Les cours sont consacrés à des études sur un modèle nu, dont nous avons appris à tracer les courbes en une minute, puis 45 secondes, 30 secondes, 15 secondes – l’horreur – et la récompense de la longue pose, généralement de 15 à 30 minutes. Nous avons également travaillé sur des compositions d’objets variés pour préparer notre premier « gros » projet, autrement dit un travail à réaliser sur deux semaines avec un spot-check à mi-parcours. Une grande composition d’objets sur une GRANDE feuille de papier. Entendez, des jours et des jours de boulot ; et des anecdotes cocasses, comme l’invasion de ma chambre par des vers microscopiques qui avaient élu domicile sur une des branches que je dessinais (miam). Je vous passe les détails. J’ai enfin présenté le bébé hier, pendant la critique de mi-semestre, globalement contente du résultat. J’ai été très surprise des progrès réalisés par certains élèves et surtout par la spécificité de chacun. Sur un sujet aussi bateau et potentiellement chiant à mourir (la composition d’objets, boarf) chacun a réussi à vraiment imposer un style particulier. Hyper intéressant. Pour moi la critique s’est bien passée malgré les quelques faiblesses de mon dessin. Que le chemin est long vers la perfection…

Je vous laisse quelques photos de ma chambre-studio-jungle:

Le studio 2 Le studio de camille!! On y croit!!!

L’autre volet de mon taf c’est l’histoire du rock n’ roll & RNB, pour lequel on devait en groupe écrire une chanson. On s’y est mis de bonne heure: Mike, mon pote du groupe du premier semestre, a ramené trois de ses amis avec lesquels on a commencé les répétitions. Au départ déçue par leur idée que je trouvais assez pourrie (ils voulaient une chanson marrante, parodique des rappeurs contemporains, sur la vie nocturne de Wesleyan et le rituel du falafel post-soirée), je me suis finalement laissée convaincre, et rassurer par le niveau global du groupe, tous des musiciens hors pair.

Une fois la chanson écrite, on est partis enregistrer dans le studio mis à notre disposition par l’université, un peu plus bas dans Middletown, à Green Street. On arrive, on poireaute une demi-heure devant la salle dans le froid glacial en attendant qu’un serviteur vienne nous ouvrir (le producteur était en train de bosser en bas). Serpentant dans un labyrinthe qui nous conduit directement au sous-sol, on découvre la petite pièce aménagée en studio dernier cri sur lequel règne en maître John Bergeron, gros bonhomme jovial, producteur adulé par mon prof. On déballe. Sourire d’extase quand il entend mon accent. « A French girl! Wonderful! I’m French too you know! » Devant mon air interloqué (il parle quand même américain de manière vachement américaine) il ajoute : « I’m from New Orleans, Lousiana, France! » Ah oui, évidemment. « That’s why my name is John BEUWRGEUWRON!!!!!! » J’aurais du m’en douter…

Passées les civilités, on commence l’enregistrement. Qui se révèle être un enfer. Notre jour est évidemment celui que choisissent les ordinateurs pour planter ; sitôt une piste enregistrée, elle disparaît du logiciel. Bref, au lieu des deux heures qui nous étaient assignées, on y passe quatre heures, et la moitié de la chanson manque toujours. On a donc été obligés d’y retourner la semaine d’après.

A la fin de la session d’enregistrement, John me félicite pour ma performance (‘ai d’ailleurs jamais bien compris pourquoi, vu que la chanson n’était pas exactement une prouesse vocale – vous jugerez par vous-mêmes – mais bon). Toujours est-il qu’il me propose d’enregistrer certaines de ses chansons avec lui !!!!! Je serai donc de retour au studio juste après Spring Break pour enregistrer. Le pied.

L’étape d’après a été la réalisation de la vidéo. Ça c’était vraiment marrant. On y a passé du temps, c’est mon pote Alex (le rappeur) qui a pris les rênes avec l’aide ô combien louable d’un film major (Matt) qui a sacrifié un bon bout de temps pour nous aider à faire un film de nos conneries. Je vous laisse admirer le résultat ici :

Le bilan de l’expérience, c’est que :

  • oui, notre chanson est stupide,

  • elle tient quand même la route musicalement,

  • on a très honorablement rempli les critères d’évaluation,

  • on s’est vraiment marrés,

  • je me suis fait plein de poteaux,

  • ET la vidéo marche plutôt bien (3000 vues en 3 jours sur youtube).

Moralité, on remet ça pour le final.

La vie de la maison s’organise aussi autour du rythme des nouveaux colocs. On a du traiter un problème de vol de bouffe, le délinquant n’ayant pour autant jamais été identifié. En dehors de ça, c’est toujours les mêmes vieilles querelles de couples : les joies des colocs qui rentrent à 4h du mat complètement bourrés, claquant les talons et hurlant de rire, quand j’essaye désespérément de dormir en prévision de mon exam du lendemain, la vaisselle qui s’accumule, la messe hebdomadaire de mes colocs filles – entendez, les deux heures de salle de bain chaque vendredi et samedi soir… L’autre fois je rentre de cours trempée jusqu’aux os par une pluie dégueulasse et glaciale; je trouve mes deux colocs glandant en pyjama / couverture dans la cuisine. Victoria me lance: « Oh, you always dress so well! » J’étais habillée avec mon pull cradingue / pantalon badigeonné de fusain / bottes de neiges + délicates marques de boue. Les américains et le bon goût.

En dehors de ça, les projets. Je l’annonce : ils sont lumineux. Spring break arrive demain, et avec lui, enfin, la GLANDOUILLE!!!!!!! Première semaine chez Khari à Boston, et deuxième semaine direction LE SOLEIL : je pars à Porto Rico avec toute la bande des Sciencespotes en échange aux US. Une semaine à se dorer la pilule avant la (tristement) dernière ligne droite de mon année américaine.

Elle est pas belle la vie?

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