Bye bye Wes

Dans la voiture qui partait pour Boston, lundi 27 mai, j’ai regardé s’éloigner pour la dernière fois les bâtiments de Wesleyan University. Les émotions que j’ai alors éprouvées ont été bien plus fades que ce que j’imaginais. Comme si je partais pour le week-end. J’ai essayé de me mettre devant le fait accompli en me martelant que ça y est, c’était fini, fini, que c’était un au revoir pour de bon ; mais impossible de me rendre triste. Peut-être réaliserai-je plus tard, quand je serai rentrée chez moi. Ça fonctionne toujours comme ça : le cerveau qui n’assimile pas sur le moment et le manque qui s’immisce lentement, plus tard. Toujours trop tard.

Peut-être aussi était-il temps. Le temps de clôturer une année magnifique mais tellement dure. Je me souviens de cette pensée fugace en montant dans l’avion, il y a neuf mois presque jour pour jour : « suis-je vraiment en route pour la meilleure année de ma vie ? ». Non. Mon bilan ne sera pas ce cliché extatique de beaucoup de Sciencespistes. Cette année ne fut pas la meilleure de mon existence. Elle fut celle de la lutte la plus acharnée que j’ai eu à mener contre moi-même et qui ne fait que commencer. C’est, de cette année, ce qui aura marqué le plus profondément ma chair et mon esprit. J’ai douloureusement réalisé que traverser l’océan ne permet pas de laisser ses plaies derrière soi. Peut-être que c’est ça, grandir.

Les rencontres que j’ai faites resteront gravées dans mon cœur pour longtemps. J’ai cheminé auprès de personnes si belles que je n’ai pas pu m’empêcher d’en ramener une à Paris en souvenir (pourvu que ça lui plaise !). Je sais que de beaucoup d’entre elles ne resteront que quelques photos, des statuts sur Facebook, et des souvenirs probablement de plus en plus flous. Mais je m’autorise l’espoir que certaines resteront sur ma route. Elles m’ont fait vivre, rire, aimer, elles m’ont surprise et fascinée, elles m’ont déchirée et consolée. Pour tous ces visages je ne peux que remercier le ciel à genoux.

Parmi eux, mes professeurs. Depuis les balbutiements de ma vie d’élève, la providence semble mettre sur mon chemin des enseignants qui dépassent largement le rôle de passeur de savoir pour devenir des maîtres de vie. Je me sais incroyablement chanceuse que cette année encore, ma bonne étoile ait brillé. Aller toujours plus loin, plus fort. Ne pas baisser les bras. Développer son art dans l’humilité et le respect de ceux qui savent. Se découvrir soi-même à travers ses efforts, et apprendre à s’aimer – un peu.

Senior week ne m’a pas laissé le temps de réaliser que c’était la fin. Je suis partie avec ma bande de copines de Womanist House dans la maison de famille d’Ariel, perdue à une heure de route dans la campagne du Connecticut. L’occasion de profiter une dernière fois de ces amitiés précieuses, loin du stress de l’université, avec pour seule compagnie le soleil et les moucherons. L’occasion d’admirer le dégradé de vert et d’or dont se parent les arbres en début d’été, d’écouter les rires couler dans mes oreilles comme un vin chaud. L’occasion enfin de rencontrer Björn, dont j’ai découvert après avoir cru que notre rencontre serait impossible qu’il habitait finalement à quinze minutes de là. Un grand homme grisonnant, professeur de français et peintre ami de la famille depuis des décennies, qui en deux heures m’a montré sa maison et son studio d’artiste, fait visiter le lycée privé où il enseigne, partager mon expérience américaine et ses souvenirs européens.

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Et puis je suis rentrée à la maison pour profiter de ceux que je ne reverrai pas avant longtemps. J’ai beaucoup fait la fête, je suis allée me promener sur les bords du lac de Millerspound, j’ai arpenté pour la dernière fois les rues de Middletown. Il y a eu la folie de graduation day, où tous les seniors (dernière année) ont paradé dans leur toge rouge et leur chapeau plat pour recevoir la distinction finale de leurs quatre années d’études supérieures. La famille de chaque étudiant était présente pour assister à la cérémonie dans un campus orné de milliers de dollars de ballons, tentes géantes, drapeaux et banderoles en l’honneur de la classe de 2013. La célébration quasi-religieuse a duré plus de trois heures. Quand a commencé le défilé des étudiants diplômés, l’énoncé de chaque nom a fait place aux cris d’extase et aux larmes des mères, émues de voir leur progéniture entrer pour de bon dans la vie d’adulte. J’ai tout vu, assise aux côtés de la famille de Khari, grelottant dans mon manteau bleu : évidemment, il fallait que novembre revienne en mai pour la remise des diplômes.

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Heureusement, tout n’est pas tout à fait fini. Il me reste deux semaines de vadrouille, j’embarque cet après-midi pour le pays des Acadiens et je terminerai mon voyage dans la lune là où je l’ai commencé – à New-York la belle.

En marchant pour la dernière fois dans le campus de Wesleyan, j’ai tout regardé, tout décrypté, pour imprimer ces bâtiments profondément dans mon esprit – ma maison, Usdan, Exley, Psi U, la librairie, la bibliothèque, les rues, les arbres, les écureuils gris (les gentils), les écureuils noirs (les pas gentils), l’observatoire et la colline de Foss, l’odeur du soleil sur l’herbe du matin encore mouillée. J’ai inspiré pleinement et fermé les yeux. Bye bye Wes.

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1 commentaire (+ vous participez ?)

  1. le paternel
    Juin 01, 2013 @ 08:13:36

    « au revoir » n’implique pas forcément la tristesse parce que le présent et l’avenir sont remplis de promesse !
    c’est bien de ne pas vivre dans le regret

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