L’handicapée linguistique

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On ne se rend pas vraiment compte de l’importance du langage.

Je découvre peu à peu combien sa richesse est aussi précieuse que la vue ou le goût. A Wes, les étudiants internationaux parlent tous très bien anglais, soit parce que c’est leur langue maternelle (UK, Inde, Afrique du Sud etc), soit parce qu’ils viennent d’un lycée international qui les a « bilinguisé ». Je me sens donc plutôt en retard sur les autres, même s’ils me rassurent tout le temps – « your english is soooo good! ». Je n’ai jamais vraiment su s’ils disaient ça sincèrement ou pour atténuer mon dépit. Je me sens comme amputée intellectuellement de n’être pas capable de développer des idées aussi complexes qu’en français.

Chaque conversation me martèle que dans la pratique d’une langue étrangère, se faire comprendre n’est que le premier pas. Un tout petit pas. Moi qui pensais parler très correctement anglais, je vous garantis que c’est la douche froide. Impossible de choisir des mots clairs, d’user de nuances ; mes phrases sont toujours dénuées de toute subtilité. Et c’est une réelle souffrance. Il m’est difficile de m’intégrer dans une discussion à plus de 1+1, particulièrement quand ce ne sont que des américains et qu’ils parlent vite (ce qui est le cas 90% du temps). D’une, parce que mon manque de vocabulaire m’empêche de saisir le sens global de la phrase, même si je pense que mon oreille s’adapte peu à peu aux nouveautés auxquelles elle est soumise. De deux, parce que je ne peux pas formuler ma réponse telle que je la voudrais, et que j’ai toujours besoin de construire préalablement la phrase dans ma tête avant de la dire. Comme cette situation me stresse, je bloque parfois carrément et il me faut une heure pour sortir une phrase à la construction basique… Le pied. Les soirées sont les pires moments. J’ai constaté que quand l’environnement est trop bruyant pour entendre distinctement ce que l’autre tente de dire, le cerveau reconstitue spontanément les mots grâce aux mouvements des lèvres. Mais dans une langue étrangère, cet exercice est beaucoup plus pénible, et la compréhension est d’autant plus laborieuse.

Du même fait, parler français me devient désagréable. Mon adorable advisor, M. Rider, francophone et francophilissime, trop heureux de trouver quelqu’un avec qui parler français, m’a dès notre premier rendez-vous parlé dans ma langue. Je me suis sentie si mal que j’ai dû la seconde fois lui demander si je pouvais lui répondre en anglais. Mon cerveau mélange tout, les mots se confondent, et je perds l’aisance que j’ai acquise au cours de la journée. Écrire, ça va. Curieusement, écrire en français ne me prive pas de mon vocabulaire. Mais quand je parle français, mon ventre se serre, comme si ça me rappelait de mauvais souvenirs. Comme si cette appartenait à un passé très lointain, que je voulais garder le plus lointain possible.

Du coup j’évite les rares français du campus. A part les professeurs de français, j’ai rencontré une fois les T.A. (teaching assistants) qui sont des étudiants spécialement venus pour enseigner, et ils étaient tellement parisiens dans leur façon d’agir que je me suis tirée dès que possible. Le retour des regards condescendants, des sous-entendus pourris, etc. L’horreur. Donc je les ai salués bien bas et je suis retournée sur mon nuage, bien décidée à ne plus en descendre.

En revanche, ce qui est intéressant, c’est d’observer comme le comportement s’adapte aux difficultés linguistiques. Comment je deviens spontanément plus extravertie, au contraire de mon habituelle tendance à me replier sur moi-même dans les situations de malaise. Comment le corps remplace les mots manquants par des gestes, des sourires, des rires. Parce qu’ici on n’a pas vraiment la possibilité d’être timide. Le fossé que la langue creuse doit être comblé pour tirer le meilleur parti des relations qui se tissent. Alors je me transforme un peu en clown. C’est tellement agréable. Et les gens vous aime beaucoup plus. En tout cas ils sont beaucoup plus sympathiques. Finalement, les malaises peuvent aussi créer des remèdes meilleurs encore que la situation initiale…

Sur ce, bonne nuit, je vais faire la teuf.

Capitaine clown Camille

3 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. F*
    Sep 03, 2012 @ 05:18:44

    Hola Camille. English is good for you !
    Hâte de connaître les actes suivants…
    Bises. F*

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  2. sophie P
    Sep 03, 2012 @ 20:12:24

    hello ma belle, ne t’inquiète donc pas, je pense que c’est tout à fait normalque tu te sentes larguée, coté linguistique, mais avec le temps, tu verras que tu sauras t’adapter, comme toujours. allez, forza bella raggazza.

    big love.
    ta tante sophie

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  3. Ratoune
    Sep 03, 2012 @ 20:58:08

    C’est fou, fou, fou !!!!! Je te comprends teeeeeellement !! Et tu connais à présent ce que je ressentais là-bas, over the ocean.. 😀

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